Sécurité alimentaire et durabilité : l’INGC engagé aux côtés du programme ADAPT

Rencontre avec M. Rachid Zouani, point focal du programme ADAPT Céréales à l’INGC
Dans un contexte marqué par l’urgence climatique et une forte dépendance aux importations céréalières, la Tunisie place la transition agroécologique au cœur de ses priorités agricoles. Le programme ADAPT Céréales, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement (AICS) en partenariat avec le Programme Alimentaire Mondial (PAM), vise à renforcer la durabilité de la production céréalière nationale en s’appuyant sur les institutions clés du pays. À l’interface entre recherche appliquée et action de terrain, l’Institut National des Grandes Cultures (INGC) joue un rôle déterminant. M. Rachid Zouani est ingénieur général, responsable du département des variétés et de la qualité technologique, et point focal ADAPT Céréales au sein de l’INGC. Il répond aux questions de Marion Piccio, experte communication du programme.
Marion Piccio : Bonjour M. Zouani, et merci d’avoir accepté cet échange. Pouvez-vous vous présenter et nous dire quel est votre rôle au sein de l’INGC et plus particulièrement dans le cadre du partenariat avec le programme ADAPT ?
Rachid Zouani : Je suis ingénieur général, spécialisé en agronomie et en amélioration des plantes. J’occupe actuellement le poste de sous-directeur à l’INGC, en charge du département dédié à l’adaptation variétale et à la qualité technologique des produits agricoles. Dans ce cadre, je supervise les efforts de recherche appliquée et d’accompagnement technique menés par l’institut, et j’assure également le rôle de point focal pour le programme ADAPT Céréales, en coordonnant les activités mises en œuvre dans le cadre de ce partenariat.
Marion Piccio : Justement, pour mieux situer le cadre dans lequel vous évoluez, pouvez-vous nous expliquer quel est le mandat de l’INGC en Tunisie et quelles sont ses principales missions ?
Rachid Zouani : L’INGC joue un rôle essentiel pour la sécurité alimentaire de la Tunisie. Sa mission principale est d’améliorer la production des grandes cultures, qui regroupent les productions agricoles de plein champ comme les céréales, les légumineuses, les oléagineux et les fourrages, tant en quantité qu’en qualité, tout en accompagnant les agriculteurs face aux défis liés au climat et aux contraintes économiques. Concrètement, nous menons des études sectorielles pour mieux comprendre les dynamiques de production et de marché, et nous élaborons des itinéraires techniques adaptés aux réalités régionales. Nous accompagnons également les exploitations sur le terrain, en proposant des solutions concrètes à chaque étape du cycle de production, grâce à un suivi technique minutieux permettant d’identifier les problèmes spécifiques et de recommander des solutions appropriées. L’INGC travaille aussi à la diffusion de bonnes pratiques, notamment à travers l’élaboration et la mise à jour de paquets technologiques adaptés à la taille des exploitations et aux conditions régionales. C’est cette combinaison de recherche appliquée, d’appui technique et de transfert de compétences qui définit notre mandat.
Marion Piccio : Vous avez évoqué l’appui de l’INGC aux grandes cultures. Pourquoi la filière céréalière est-elle stratégique en Tunisie et au cœur des politiques publiques et des programmes tels qu’ADAPT ?
Rachid Zouani : C’est une filière qui structure l’agriculture tunisienne depuis longtemps. Elle mobilise un très grand nombre d’agriculteurs et joue un rôle économique central. Sur le plan alimentaire, elle est tout aussi cruciale : les céréales, en particulier le blé dur, le blé tendre, forment la base de l’alimentation quotidienne en Tunisie. Mais la production de céréales est aujourd’hui confrontée à de multiples défis : des aléas climatiques de plus en plus fréquents, des coûts de production élevés, ainsi qu’une pression croissante sur les ressources naturelles comme l’eau et les sols. Face à ces enjeux, il est logique que le secteur céréalier soit au cœur des politiques agricoles actuelles, avec des programmes d’appui spécifiques visant à améliorer sa durabilité, sa productivité et sa résilience.
Marion Piccio : Dans ce contexte quels sont, selon vous, les principaux défis à relever et que fait l’INGC pour rendre les systèmes céréaliers plus résilients ?
Rachid Zouani : Renforcer la durabilité de la production céréalière tunisienne suppose d’agir à plusieurs niveaux. Le changement climatique reste le défi principal : sécheresses récurrentes, augmentation des températures et événements extrêmes affectent fortement les rendements. À cela s’ajoutent des contraintes structurelles comme la faible mécanisation des petites exploitations, dont 70 % font moins de 10 hectares, et des pratiques agricoles intensives qui épuisent les sols, dont le taux de matière organique reste inférieur à 1 %. Il est donc urgent d’encourager des approches agroécologiques comme le semis direct, les rotations avec des légumineuses (pois chiche, fève, etc.), et les couverts végétaux. Pour y faire face, plusieurs solutions sont proposées par l’INGC : variétés résistantes aux conditions climatiques actuelles, irrigation localisée dans les zones critiques, ou encore outils numériques comme l’application IREY que nous avons développé.
Marion Piccio : En quoi consiste précisément votre partenariat avec le programme ADAPT Céréales et quelle est la valeur ajoutée pour l’INGC ?
Rachid Zouani : Le partenariat entre l’INGC et le programme ADAPT Céréales repose sur une volonté partagée de rendre la filière céréalière plus résiliente et durable face aux contraintes climatiques, économiques et techniques. Il s’articule autour de plusieurs axes structurants : le développement de référentiels techniques sur les pratiques agroécologiques, la mise en place de parcelles de démonstration pour tester et diffuser les pratiques agroécologiques, et l’organisation de sessions d’informations et de formations à destination des techniciens et des céréaliculteurs. Ce partenariat représente une opportunité pour l’INGC de renforcer ses capacités, techniques, opérationnelles et institutionnelles. Pour les producteurs, il s’agit de leur permettre d’expérimenter et de s’approprier des pratiques durables comme le semis direct, la rotation des cultures intégrant des légumineuses, ou encore une meilleure gestion de l’irrigation, dans une logique d’adaptation progressive. Cette collaboration est également stratégique pour porter un plaidoyer auprès des décideurs sur les enjeux de durabilité du secteur.
Marion Piccio : Pouvez-vous nous donner un aperçu des activités en cours ou déjà réalisées dans le cadre de la convention avec l’AICS pour le programme ADAPT Céréales ?
Rachid Zouani : Le partenariat entre l’INGC et le programme ADAPT Céréales s’est déjà traduit par la mise en œuvre d’actions très concrètes sur le terrain. Plusieurs parcelles de démonstration ont été installées dans différentes régions à vocation céréalière, notamment dans le Nord-Ouest, le Centre et le Sud. Il s’agit de parcelles agricoles pilotes, cultivées selon des techniques innovantes, qui permettent de tester, observer et diffuser des pratiques agroécologiques adaptées au contexte tunisien. En parallèle, des journées d’information et de formation ont été organisées à l’attention des producteurs, des techniciens et des acteurs locaux et ont porté sur des thématiques prioritaires telles que la lutte intégrée, l’utilisation raisonnée des pesticides et l’agriculture de conservation. Elles ont été très positivement accueillies, notamment pour leur approche pratique et contextualisée. Les thématiques abordées ont porté sur la préparation des sols, la gestion des intrants, ou encore les bénéfices agronomiques des rotations. L’INGC a également identifié un premier groupe d’agriculteurs volontaires, dans chaque région, qui bénéficieront d’un accompagnement technique renforcé et d’un suivi rapproché dans le cadre du programme. Ces actions visent à favoriser l’adoption de pratiques durables, en s’appuyant sur des résultats tangibles issus du terrain et sur une démarche participative.
Marion Piccio : Pour conclure comment l’INGC envisage-t-il de pérenniser ces actions, pour assurer la continuité des efforts engagés, au-delà de l’appui du programme ADAPT Céréales ?
Rachid Zouani : Les activités menées dans le cadre du programme ADAPT Céréales permettent de poser les fondations d’un changement structurel durable. L’INGC envisage désormais de capitaliser sur ces acquis à travers un renforcement des capacités à plusieurs niveaux. Sur le plan technique, des formations ciblées en agroécologie ont été dispensées aux techniciens et aux producteurs, et pourront être reconduites au-delà du programme. Sur le plan opérationnel, l’acquisition d’équipements agricoles constitue un appui concret aux exploitations, avec des effets qui s’inscrivent dans la durée. L’approche repose également sur un renforcement institutionnel, notamment à travers le développement de nouveaux partenariats stratégiques. Un premier échange de terrain a déjà eu lieu avec le CREA en Sicile en juin 2025, marquant le début d’une collaboration appelée à se consolider. Enfin, les pratiques testées et validées sur le terrain, telles que le semis direct, la rotation culturale ou l’agriculture de conservation, sont appelées à se diffuser plus largement, notamment à travers leur intégration progressive dans les politiques publiques nationales.
Le partenariat entre l’INGC et le programme ADAPT Céréales s’inscrit dans une stratégie de transformation profonde du secteur. Grâce à la convention signée en 2024 avec l’AICS, l’INGC bénéficie d’un appui technique et financier pour tester, adapter et diffuser des pratiques agricoles durables auprès des producteurs céréaliers tunisiens. Ce travail commun vise à concilier performance économique, résilience climatique et durabilité environnementale. Il s’agit d’un exemple concret de coopération réussie entre une institution nationale de recherche appliquée et un programme de développement européen, au service d’une agriculture tunisienne plus souveraine et plus durable.